Monday, 2 November 2009

Mikael Åkerfeldt / Mike Portnoy - French interview by Rémy Turpault (02 Nov 2009)

Réunir les grands patrons du metal progressif n'était pas chose aisée. C'est donc avec un plaisir tout particulier que nous nous sommes entretenus avec deux monstres sacrés qui, avec leurs formations respectives, font vibrer nos tympans depuis tant d'années.

Progressia : En cette journée peu commune où Paris accueille le Progressive Nation, comment définiriez-vous le rock ou le metal progressif? Quel serait votre définition en quelques mots?

Mike Portnoy : Je dirais que le terme « progressif » se réfère à des groupes qui osent prendre des risques, créer des ponts ou combiner différents styles et influences.

Tu proposes ici une définition très élargie du genre avec des groupes très variés...

Mike : Lorsque l'on pense « progressif », les premiers groupes qui viennent en tête sont ELP ou Genesis. Maintenant, il suffit de regarder les groupes de cette tournée : Opeth, Big Elf, Unexpect. Pour moi, ils ne se ressemblent pas du tout, ils proposent des choses vraiment très différentes et toutes progressives à leur manière. Je pense que c'est la définition précise du terme.

J'imagine que vous avez souvent l'occasion de discuter de vos opinions et influences communes en musique. Quel serait le pont entre vos deux groupes par exemple?

Mikael Åkerfeldt : Mike et moi discutons souvent des groupes que nous aimons et nos goûts communs vont du metal jusqu'à la pop psychédélique des années soixante...
Mike : Le point commun entre Opeth et Dream Theater est l'utilisation de metal et de progressif. C'est d'ailleurs le terme « metal progressif » qui est couramment employé. Dream Theater a toujours eu deux penchants, l'un tourné vers Yes ou Pink Floyd, et l'autre orienté vers Metallica ou Iron Maiden. A l'écoute d'Opeth, j'entends également du son heavy, du psychédélique, et du prog' mélodique. C'est une des ressemblances bien que nos musiques restent extrêmement différentes. Même avec nos influences communes que sont la musique des sixties, des seventies, le metal et le thrash, nos musiques ont pris des directions bien distinctes.
Mikael : Tout dépend de la manière dont tu emploies ces influences. Nous les avons exploité différemment, même si j'ai plus d'affinité avec Dream Theater qu'avec le reste de la scène metal car ce sont des musiciens ouverts d'esprit.

Aujourd'hui, vous êtes deux des plus importants groupes du genre sur l'un des plus gros labels indépendants de metal. Pensez vous que cet univers musical connu pour être un brin conservateur évolue dans le sens où il accepte davantage des éléments progressifs?

Mike : La signature de Dream Theater, Opeth, et maintenant Porcupine Tree avec Roadrunner Records prouve que ce genre possède bel et bien un public. Comparé aux artistes les plus populaires du moment, nous restons bien entendu underground. Nous avons toutefois prouvé qu'il existe une importante audience pour notre musique.
Mikael : J'ai pensé à la signature du contrat que le label le faisait pour gagner en crédibilité, après avoir été accusé de produire des artistes hyper mainstream. Ensuite Dream Theater et Porcupine Tree nous ont rejoints... puis Lynyrd Skynyrd ou Kiss qui ne sont pas vraiment des groupes progressifs, mais c'est cool de voir un tel label prendre ce genre de risques.
Mike : Même les groupes les plus metal de leur catalogue tels que Megadeth, Machine Head ou Trivium sont composés de bons musiciens qui cherchent toujours à se dépasser et à écrire de longs morceaux.
Mikael : Certains d'entre eux, oui. Selon moi, Roadrunner Records a toujours été un excellent label. D'ailleurs leur division européenne possède depuis ses débuts un panel de groupes fantastiques comme Mercyful Fate ou Obituary.

Mikael, quel est pour toi le meilleur morceau de Dream Theater?

Mikael : Quand j'ai découvert le groupe, j'ai été stupéfait par la richesse de leur musique qui me rappelait Genesis, Yes et King Crimson que j'écoutais depuis peu à l'époque. Je ne m'intéressais pas vraiment aux groupes comme Watchtower ou Fates Warning, mais quand Dream Theater est arrivé avec son deuxième album, et le single « Pull Me Under », je les ai trouvés formidables. C'étaient des musiciens contemporains qui s'inspiraient de la musique des années soixante-dix. Le premier titre que j'ai dû entendre sur Images & Words était « Under the Glass Moon » dont j'adore le premier riff! (qu'il chantonne)
Mike : On tentait de jouer du Deep Purple en plus heavy avec ce gros son d'orgue Hammond...
Mikael : Et il y a ce solo! Quand je l'ai écouté pour la première fois, je me suis dit « euh... ouais, il est plutôt bon! » (rires). Je connais les albums suivants sur le bout des doigts, notamment Awake. Je suis également amoureux de « Peruvian Skies » avec ce superbe son de Rhodes...
Mike : Un morceau qui mélange bien nos influences Pink Floyd et Metallica...
Mikael : J'ai toujours suivi leur carrière. Ils sont devenus l'un de mes groupes préférés et le sont toujours aujourd'hui.

Et Mike, quel est ton morceau préféré d'Opeth?

Mike : J'ai souvent dit que mon morceau favori était « The Baying of the Hounds ». Je pense même que c'est mon morceau de la décennie. Si je ne devais écouter qu'un morceau d'Opeth, celui-là a tous les éléments distinctifs du groupe : l'orgue puissant, le son des années soixante-dix, des riffs death metal et quelques passages progressifs très mélodiques. Beaucoup de leurs morceaux contiennent des tas d'idées différentes, mais celui-là est particulièrement excellent.
Mikael : Mike me demande sans arrêt de la jouer. (rires)
Mike : C'était dans le contrat s'il voulait faire la première tournée du Progressive Nation! (rires)

Comment définiriez vous votre rôle en tant que leader dans vos groupes respectifs?

Mikael : Question difficile. Je pense que je suis entêté et ça découle forcément sur le groupe de manière positive ou négative. Je veux juste passer un bon moment et faire de la bonne musique, c'est aussi simple que cela. J'ai néanmoins toujours le dernier mot et je décide de ce qui est bon ou pas pour Opeth. Il doit bien y avoir quelqu'un pour faire face à toute la dimension business et tous ces éléments dont on se fiche pas mal et qui n'ont pas grand chose à voir avec la musique. Il y a aussi des gens qui travaillent pour toi et qui dépendent de toi, ce qui rend tout ça bien merdique parfois. Dans tous les cas, nous sommes juste cinq gars qui faisons de la musique et c'est bien ce qui compte.

J'imagine que c'est la même chose pour toi, Mike?

Mike : C'est un peu différent car je ne suis pas l'unique compositeur. Dans Opeth, Mikael écrit tout de A à Z. Dans Dream Theater, même si je dirige le groupe, nous élaborons la musique tous ensemble même si James est un peu en retrait. Il existe donc une notion de partage, un processus créatif entre nous quatre. Je produis ensuite l'album avec John Petrucci. Une fois le disque terminé, je m'occupe de tout. Du merchandising à l'artwork, en passant par les premières parties de nos tournées, les official bootlegs, les fan clubs, etc. A priori, les autres sont heureux que je m'occupe de tout ce bordel parce ça fait partie de ma personnalité. Ils sont plus passifs et se foutent de la setlist ou de l'ordre des morceaux sur les disques, ils ont confiance en mes décisions qui ne concernent pas directement notre écriture en commun. J'ai ce tatouage qui signifie « c'est bon d'être roi, et ça craint d'être roi ». (sous l'oeil amusé de Mikael, il relève sa manche et montre un tatouage représentant deux visages d'un roi sur une carte à jouer : l'un porte des lunettes de soleil et arbore un sourire satisfait, l'autre pleure) C'est génial d'être celui dont on reconnait le travail, mais tu es aussi celui qui se prend tous les reproches.
Mikael : Si quelqu'un qui part du groupe, c'est de ta faute.
Mike : Tu n'imagines pas combien de fois on m'a reproché que John Myung n'ait plus écrit de paroles en quinze ans, alors que je n'y suis pour rien! Lorsqu'un problème est lié à l'une de mes décisions, j'en prends l'entière responsabilité. En revanche, tu deviens naturellement la cible pour tout ce qui arrive.

Quels sont vos priorités lorsque vous composez un morceau?

Mikael : Je n'en ai pas vraiment, je veux juste être bon dans ce que je fais. Je veux y prendre du plaisir et je ne me soucie pas de m'imposer quoi que ce soit ou de contenter les fans.

Mike, à propos de certains disques, tu as déclaré avoir une idée prédéfinie de la direction musicale avant même de commencer l'écriture... Est-ce habituel de procéder ainsi pour Dream Theater?

Mike : Tout dépend des albums. Parfois, le groupe ou moi-même avions décidé à l'avance du propos. Par exemple, pour Train of Thought, nous voulions proposer une musique franchement heavy. Scenes From a Memory était un concept album donc nous savions clairement le chemin que nous empruntions. Parfois, comme pour les deux derniers albums, nous avons surtout laissé les choses se faire d'elles-mêmes. On donnera toujours la priorité aux parties instrumentales. Au début de la composition d'un disque, on écrit sans se soucier du reste. Et lorsque l'on a deux ou trois morceaux, on essaie de voir ce qui manque à l'album dans son ensemble en trouvant un point d'équilibre.

Le succès a-t-il changé votre façon d'appréhender ou de concevoir votre musique?

Mikael : Peut-être effectivement. Si tu suis toutefois juste ton instinct, et que ce que tu composes te plait, il y a une chance que ça parle aussi à quelqu'un d'autre. Difficile de ne pas subir la pression extérieure car il est inévitable que les gens parlent de ton travail et attendent ton prochain album.

Quel est le meilleur souvenir de votre carrière?

Mikael : Notre meilleure mélodie? [NdlR : Mikael a compris « melody » au lieu de « memory »]
Mike : Non, ton meilleur souvenir. Mais pour la mélodie, c'est sans doute celle-ci! (il chantonne le début de « The Lotus Eater »)
Mikael : Et pour Dream Theater, ça doit ressembler à ça. (il imite une partie de shred - rires généraux)
Mike : Cette partie que tu chantes au début de « The Lotus Eater » me fait toujours penser à ce vieux standard : (il chantonne) « Feelings, Nothing More But Feelings... ».
Mikael : Je l'ai en fait empruntée à un vieux disque de folk. Bref, revenons en aux meilleurs souvenirs...
Mike : Je donne toujours la même réponse parce que c'est la vérité : lorsque nous avons joué au Radio City Music Hall pour notre vingtième anniversaire avec un orchestre [NdlR : ce concert est documenté sur le DVD Score]. C'était une soirée spéciale à tous les niveaux.
Mikael : Pour nous, c'était pendant cette tournée lorsque nous avons joué à Stockholm au Hovet, là où j'ai vu tous ces groupes mythiques comme Judas Priest ou Iron Maiden. Nous étions tout tellement excités à l'idée d'y jouer. Pourtant, lorsque tu arrives sur les planches, tu te dis « Ouais, bon, c'est juste une scène comme les autres ». (rires)

Et votre moment le plus embarrassant sur scène?

Mikael : C'est assez facile. Nous en avons eu beaucoup, le premier qui me vient toutefois à l'esprit a eu lieu pendant le Progressive Nation à Miami, durant notre interprétation de « The Baying of the Hounds ». J'ai vu des gens qui commençaient à se marrer. J'ai commencé à me demander ce qui se passait, à me dire que j'avais peut-être la bite à l'air (rires). Lorsque je me suis retourné, je me suis rendu compte qu'un rideau immense était tombé. Du coup Per [NdlR : Wiberg, claviers] et Axe [NdlR : Martin Axenrot, batterie] étaient derrière et on ne voyait que leurs pieds!
Mike : Je crois qu'on peut voir ça sur YouTube!
Mikael : On a eu une pause de vingt ou vingt cinq minutes, le temps de réparer tout ça. On nous a annoncé que le set ne serait pas raccourci pour autant, et pendant que nous attendions dans l'aile, on se disait que les gens nous attendaient et qu'on reviendrait de manière glorieuse. En remontant sur scène, la foule avait l'air de dire « Oh, encore eux? ». (rires)
Mike : Pendant le dernier concert de la tournée, alors qu'ils jouaient « The Drapery Falls » je me suis amusé à monter et baisser le rideau pendant leur set pour les embêter. (rires)

Et toi Mike, quel est ton moment le plus embarrassant?

Mike : Tout ce que tu as pu voir dans Spinal Tap est vrai, ça arrive forcément un moment ou un autre. J'ai été bloqué dans le bus de tournée, je suis tombé de quelques scènes... Le pire qui a pu nous arriver selon moi - et j'en fais encore des cauchemars - était dans une salle au Texas, nous étions encore dans les loges et ne savions pas que la musique d'introduction pour « A Change of Seasons » venait d'être lancée. Elle s'est terminée alors que nous étions en train de courir en panique vers la scène!
Mikael : Ca m'est arrivé une fois alors que j'étais en train de chier : « Tiens, je reconnais cette musique... » (rires).

Quel est votre avis sur l'évolution du marché de la musique, avec d'une part l'essor du téléchargement légal, et de l'autre le retour du vinyl et la mode des éditions spéciales?

Mikael : Je ne télécharge pas, je ne sais même pas comment faire et je fais partie de ces gens qui aiment posséder l'objet physique. Je pense que ça a eu de bonnes comme de mauvaises conséquences. On fait avec, ce n'est pas comme si on pouvait y faire quelque chose ou arrêter de jouer parce que les gens téléchargent. D'une certaine manière, je pense que c'est bénéfique pour les groupes qui souhaitent tourner, d'ailleurs, il y a de plus en plus de concerts. Je ne peux pas dire pour autant que je soutiens le téléchargement. J'adore ce come back du vinyle et les éditions collectors si c'est concret évidemment, pas uniquement une nouvelle couleur du CD. J'aime avoir des bonus, des démos, des photos, des vidéos...

Vous êtes tous deux de grands collectionneurs. Quel est le disque de votre collection qui a pour vous la plus grande valeur sentimentale?

Mikael : La première chose qui me vient à l'esprit est le premier Bathory, avec un bouc sur la pochette. Juste un bouc! (Mike se marre). Sur la première édition, le bouc était jaune, c'est super dur à trouver. Je l'ai acheté pour une bouchée de pain, j'aurais pu le revendre une fortune, mais je l'adore et le conserve bien précieusement.
Mike : Je ne suis plus un grand collectionneur de vinyles comme l'est Mikael. Ma vinylothèque est constituée d'albums procurés pendant les années soixante et soixante-dix quand j'étais enfant.
Mikael : Tu es plus intéressé par la musique, c'est ça? (rires)
Mike : Quand j'étais gamin, je possédais une grosse collection avec des centaines d'albums, mais à l'adolescence, ma maison a été infestée par des termites, et toute ma collection de K à P a été mangée. Désormais, ma collection va seulement de A à K et de P à Z. Du coup, il me manque tous mes Kiss, Metallica et Led Zeppelin ! Si je devais ressortir un seul album de ma discothèque qui me rappelle des souvenirs, ce serait « Satanic Majesty's Request » des Rolling Stones, avec sa pochette originale en 3D. Les gens détestent cet album, mais c'était mon préféré des Stones, et ça l'est toujours sûrement aujourd'hui.

Pour finir, avez-vous des questions à vous poser l'un à l'autre?

Mike : Je voulais savoir si vous pouviez nous jouer « The Baying of the Hounds » ou « Burden » aujourd'hui, s'il te plait?
Mikael : Non, pas aujourd'hui. (rires)

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